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Des statuts d'occupations plus flexibles pour une société plus mobile

Etude réalisée avec le concours de l'Observatoire des Pratiques du Conseil National de l'Habitat
ANIL, Habitat actualité, juillet 2000


Faut-il remettre à jour la réflexion sur l'accession progressive ou l'accession partielle ? Les diverses formules de démembrement, de partage ou de limitation dans le temps de la propriété constituent-elles des voies qui méritent d'être explorées ? Les tentatives dans ce sens ont déjà été nombreuses en France et leur insuccès général. Cependant, aujourd'hui, l'évolution des modes de vie n'incite-t-elle pas à ce que la distinction absolue entre locatif et propriété s'efface au profit de statuts plus souples ? Dans une société caractérisée par une flexibilité et une mobilité croissantes, qu'il s'agisse des parcours professionnels ou des liens familiaux, ne faut-il pas inventer des statuts d'occupation évolutifs ?

Or en France, toutes les expériences qui sont allées dans ce sens avaient pour objectif de contourner les obstacles rencontrés par les plus modestes pour accéder à la propriété. Les diverses formules de location vente ou de location accession ont été conçues pour permettre à des ménages très modestes, sans apport personnel, de tester leur capacité à faire face à des mensualités de remboursement correspondant, pour eux, à des taux d'effort particulièrement élevés. Dès lors, elles ne pouvaient aboutir qu'à transférer le risque de l'opération à l'organisme vendeur-bailleur et/ou à augmenter le coût réel de l'opération ; l'échec était prévisible.

Ne serait-il pas préférable de s'inspirer des exemples étrangers, " shared ownership " britannique ou du " koophur " hollandais, ou des systèmes mis en œuvre pour l'immobilier d'entreprise ? Pourquoi ce qui vaut pour les sociétés, crédit-bail, démembrement de la propriété entre le sol et le bâti, propriété limitée dans le temps avec le bail emphytéotique, ne vaudrait pas pour les ménages ?

A vrai dire, il n'existe pas de pratique aisément transposable. L'examen approfondi des bilans du " shared ownership " ou du " koophur " s'avère très décevant. Quant à la distinction entre propriété du terrain et propriété du bâti, elle revient, comme la formule du bail emphytéotique, à une limitation de la durée de la propriété ; ceci peut tout à fait répondre au calcul rationnel d'un investisseur, capable d'un calcul d'actualisation, mais plus difficilement aux motivations d'un accédant modeste qui se constitue un patrimoine par épargne forcée.

Il faudra observer avec attention l'expérience que veulent conduire les SA d'HLM et qui consiste à pratiquer une vente HLM de façon progressive avec une garantie de rachat : ce dispositif emprunte certaines des caractéristiques de chacun des systèmes étrangers. De la vente HLM, il conserve le statut de la transaction, du " shared ownership " la possibilité d'achat progressif et de partage de la propriété ; l'accédant bénéficie d'une garantie de revente et peut, comme dans le " reverse mortgage " américain, récupérer la valeur de la part dont il est propriétaire, son actif net, et demeurer dans son logement en redevenant locataire. Enfin, l'organisme d'HLM entretient, comme dans le " koophur " des relations diverses avec les habitants de l'immeuble, définies par leurs divers statuts d'occupation. Mais un tel système ne suffira pas à dépasser la contradiction apparente, entre l'aspiration à la propriété des ménages, qui semble majoritaire, et les contraintes de mobilité qui vont croissant.

Les Etats-Unis offrent pourtant l'exemple d'une société de ménages très mobiles - le taux de mobilité est le double de celui de la France - et majoritairement propriétaires, puisque c'est le cas de près de 67 % d'entre eux.

Evoluons-nous vers une situation identique ? En effet, le taux de propriétaires s'est accru depuis la fin de la guerre et en France, comme dans la plupart des pays, les pouvoirs publics s'efforcent d'élargir la frange des ménages qui peuvent le devenir.

Mais, pour être précis, ce n'est pas le développement de la propriété qui accompagne l'enrichissement de ces économies modernes, c'est la croissance du crédit hypothécaire ou d'une façon plus générale du crédit immobilier. La propriété n'est pas un statut de pays riches, elle domine dans les pays européens les moins développés, par exemple la Grèce ou le Portugal, comme dans nombre de pays en voie de développement ; en revanche, le nombre d'accédants, c'est à dire de propriétaires ayant un crédit long en cours est très faible. C'est dans les pays de l'Europe du Nord, fortement urbanisés, comme l'Allemagne ou les Pays Bas, que la proportion de locataires est élevée, qu'il s'agisse de locataires du parc public ou privé.

La France compte 54 % de propriétaires, parmi lesquels près de la moitié a un crédit en cours. Aux Etats-Unis, les 66 % de propriétaires occupants ont presque tous un crédit hypothécaire en cours. Certes, le régime fiscal l'encourage, puisque la totalité des intérêts d'emprunts, inférieurs à un million de dollars, finançant un ou de deux logements, est déductible du revenu imposable. Mais au-delà de l'avantage fiscal réel, ce qui caractérise ce système, ce n'est pas le démembrement de la propriété, mais la distinction, de nature culturelle, entre statut d'occupation et propriété de la valeur patrimoniale. La valorisation du statut de propriétaire est très forte, mais elle n'est pas liée au fait d'être nécessairement propriétaire de la valeur patrimoniale du logement que l'on occupe ; nombre d'américains sont " house poor ". L'américain peut être propriétaire de son logement tout en étant locataire d'argent. Pour schématiser, le logement est plutôt pour l'américain un bien de consommation et pour le français un investissement.

Le système de " reverse mortgage " répond à la même logique, qui permet à la personne âgée de continuer à occuper son logement tout en réalisant sa valeur patrimoniale. Pour les propriétaires aisés, l'arbitrage est permanent entre le placement dans la valeur de la maison et le placement dans d'autres outils financiers. Cette attitude, associée à un marché très fluide et au fait que l'ensemble des frais liés au changement, frais de transaction, de mutation, d'emprunt, est beaucoup plus modique, explique qu'une société très mobile ait une très large majorité de propriétaires occupants et permette à des ménages très modestes de tenter leur chance dans cette voie.

Plus que le démembrement de la propriété, c'est cette pratique du crédit hypothécaire qui permet de jouir de tous les droits de propriété du logement que l'on occupe, sans être réellement propriétaire de la valeur qui s'y niche.

Cette façon d'envisager la propriété est loin des habitudes françaises ; le français craint la mobilité plus qu'il ne l'anticipe, il s'efforce de rembourser le plus rapidement possible son emprunt, tandis que l'américain pousse son endettement hypothécaire devant lui, alors même qu'il est, globalement, beaucoup plus endetté ; la pratique des " equity loan " lui permet de réemprunter une partie du capital déjà amorti.

Il ne s'agit aucunement de considérer que cette attitude soit meilleure ou doive être encouragée. Cependant, on peut penser que permettre au plus grand nombre d'accéder à la propriété, dans une société où la mobilité, même si elle n'est pas souhaitée est une contrainte, relève davantage de l'évolution vers une distinction plus affirmée entre le statut de propriétaire et la propriété de la valeur patrimoniale, que de l'élaboration de formules juridiques qui ne parviennent pas à faire disparaître le risque qui s'attache nécessairement à toute opération d'accession très sociale.

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